Entre les perpectives et les aspirations auxquelles ouvrent ces expériences, le regard souvent négatif porté sur les personnes qui y font appel et l'illégalité des substances qui y donnent accès il faut bien le dire, être psychonaute en France n'a rien d'évident. Afin de déblayer le terrain, la Gazette de l'Abîme, en collaboration avec les membres de la Communauté Psychédélique Francophone vous propose cinq façons de faire évoluer la question psychédélique sur le territoire français.
Faire son coming out psychédélique
Vous avez eu une, voire plusieurs expériences psychédéliques et vous êtes toujours en vie ? Vous parvenez toujours à vous exprimer sans baver ni avoir les yeux qui louchent et disposez de la majorité de vos dents ? Vous avez des responsabilités, un emploi, vous payez vos impôts et les enfants ne sanglotent pas de terreur lorsqu’ils vous voient, ou alors rarement ? Félicitations ! À vous seul(e), vous constituez déjà une figure fonctionnelle et potentiellement positive du psychonaute moderne, prouvant ainsi que cette pratique n'interfère pas nécessairement avec le fait d'être un citoyen responsable, impliqué, susceptible d’apporter une contribution positive au corps social, contribution rendue possible notamment par une ou plusieurs expériences de conscience altérée. Alors, si vous vous sentez l’âme d’un pionnier, si vous aussi partagez la croyance que cette expérience est susceptible d'étendre les horizons de l'humanité (rien que ça), vous pouvez vous aussi sortir du placard et précautionneusement, faire part de votre expérience à votre entourage : en présentant une image constructive de cette expérience à la famille, aux amis, aux médecins et même aux psys qui dans la majorité des cas n'ont pas de connaissance de ces pratiques, vous participez à la mise en lumière de ses potentiels au delà de l'underground.
Soyez quand même prévenus : on ne dit pas que sortir du placard soit une tâche facile, ni même agréable (dans la droite continuité de l'expérience psychédélique d'ailleurs). En revanche, on affirme avec une certitude certaine que c'est par les démarches personnelles cumulées qui reconnaissent et revendiquent la valeur de ces expériences qu'on leur donne une chance d'exister, un jour, dans un champs social plus large.
Faire communauté
C’est grâce à une étude sociologique approfondie réalisée au moyen d’un doigt, d’un peu de salive et de la direction du vent que nous sommes en mesure de vous affirmer que la communauté psychonautique française active (celle qui agit sur internet, que ce soit en rejoignant des sociétés, des regroupements, etc...) s'évalue quelque part aux alentours d’une dizaine de milliers de personnes; des individus souvent éloignés sur le plan géographique, et qui ne disposent que de peu d’espaces pour se rencontrer, échanger, et faire exister le contenu psychique rendu conscient par cette expérience sans risquer l’incompréhension et/ou l'hostilité générale. On peut avoir tendance à l'oublier, c'est malheureusement un fait : la plupart des gens, souvent, n’ont aucune idée de ce dont on parle.
Conséquence ? Une communauté psychédélique éparpillée sur le territoire, des individus isolés dans leur villes, dans leurs villages et dans leurs quartiers, sans possibilité de partager leur expérience librement sans risquer l'ostracisme.
Solution ? Rencontrez vous ! D'abord sur internet, où vous trouverez des regroupements de plus en plus nombreux qui vous permettront, dans un second temps, d'assister à des événements dans le monde réel. Gardons en tête que parler, partager cette expérience constitue non seulement une opportunité d'en apprendre davantage sur les bonnes pratiques, les bons conseils et la réduction des risques, mais également l'occasion de renforcer le lien social que nous tissons ensemble autour de ces perspectives. En plus souvent, y'a de la bière et des chips.
Structurer son discours
Se rendre visible, se rencontrer et discuter entre psychonautes c'est bien, mais si hors de ces cercles, le discours psychédélique s'avère abscon ou inquiétant, généralement, il ne fait pas grand chose pour améliorer la situation.
Gardons en tête que si pour ses initiés, l'expérience psychédélique recèle une richesse comparable à la découverte d'un nouveau continent, pour l'immense majorité d'entre nos concitoyens, on parle plutôt de la consommation de substances prohibées pour de bonnes raison, dont l'usage est souvent associé aux idées d'intoxication, de marginalisation, de dégénérescence physique, psychique et morale, ce qui a une fâcheuse tendance à la rendre peu sympathique dans l'oeil du grand public.
Sauf que là aussi, l'évolution est possible, et en la matière, tout commence par ceux qui prennent la parole. Aussi, si vous aussi souhaitez rendre compte des choses, mieux vaut au préalable structurer la manière dont vous allez le faire, les mots que vous allez employer ainsi que les personnes auxquelles vous allez vous adresser. Par défaut, on peut imaginer s'adresser à des personnes ayant les à prioris les plus négatifs possibles à propos de nos expériences : si tel était le cas, comment est-ce que l'on s'y prendrait pour les convaincre de la validité de nos positions ? Ça vaut la peine d'y réfléchir : au delà du sujet, il s'agit d'ailleurs d'un bel exercice réthorique qui peut servir un peu partout.
Soutenir les acteurs et les regroupements psychédéliques
La plupart des psychonautes ayant vécu l’expérience psychédélique ou enthéogène ont tendance à maintenir leurs activités passées ou actuelles relativement cachées : en effet, même si les signaux témoignant d’une troisième vague psychédélique se font de plus en plus visibles, sous nos latitudes, il s’agit encore d’un sujet clivant, polémique, qui touche à de nombreux points sensibles de notre société : le rapport que nous entretenons aux substances psychoactives, à la spiritualité, au sentiment mystique, et plus généralement à la structure du réel tel qu’on se le représente traditionnellement.
À titre indicatif, rappelons que le simple fait d’évoquer sous un jour positif les substances classées au registre des stupéfiants constitue en soi un délit.
Fort de ce constat, on comprend mieux à quoi s’exposent les individus qui prennent la parole à ces sujets, alors que les structures susceptibles de soutenir leur travail restent à développer (pas de Decriminalize Nature ni de MAPS en France à l'heure actuelle). Encore une fois, prendre cette posture sur notre territoire revient à agir en pionnier d’un monde encore inexploré, et souvent, les personnes qui se lancent n’ont pour ce faire que peu de ressources sur lesquelles s’appuyer.
Soutenir la production de ces personnes, que ce soit sur le plan financier, par l'encouragement, par le partage des contenus qu’elles produisent revient à reconnaître la valeur de leur travail, ce qui ne manquera pas de les motiver à continuer.
Si celui ci revêt une importance à vos yeux, d’une façon ou d’une autre, n’hésitez à le démontrer.
Création d'une charte éthique à destination des voyageurs et des gardiens + Fond de soutien en cas de pépin
Si ce dernier point pourra sembler un peu précipité à certains, il constitue néanmoins une suite logique aux choses : la demande d'accès à l'expérience psychédélique, qu'elle soit à des fins thérapeutiques, exploratrice, communautaire ou spirituelle est grandissante.
Hélas, comme on l’a déjà évoqué ici, les substances psychédéliques sont illégales, le monde médical français n'a aucune solution à proposer aux demandeurs, contraignant les personnes qui souhaitent accéder à ces expériences soit à débourser des sommes importantes pour se rendre dans les pays qui l’autorisent, soit à mettre un pied dans l’underground, là où les dangers et les abus se trouvent démultipliés par l’absence de cadre légal.
Peut être serait il bon de penser dès à présent à une charte éthique commune à laquelle s’engageraient les personnes qui auraient vocation à en accompagner d’autres, à l’image de la Guild of Guides déjà développée aux Pays Bas : une ligne de conduite engageant les facilitateurs à un certain comportement, incluant sans s'y limiter une bonne connaissance préalable des états modifiés de conscience, des bases élémentaires de sécurité et de réduction des risques ainsi que le respect de l’anonymat, de la volonté et de l’intégrité des personnes susceptibles d'êtres accompagnées. En matière d'évolution du cadre légal, les entrepreneurs qui ont rendu le CBD accessible aux français pourront en témoigner : l’état français agit rarement sur la législation en vigueur sans l’existence de cas qui induisent une jurisprudence. En matière de psychédéliques, si les preuves thérapeutiques suffisaient à faire évoluer la loi, ce serait déjà le cas. Fort de ce constat, il serait bon que les communautés psychédéliques, les voyageurs et les aspirants gardiens, en plus de cette charte éthiques, puissent un jour constituer un fond destiné à la protection juridique en cas de pépins. Et vous, avez vous d’autres suggestions à soumettre ?
La Gazette de l’Abîme est un média indépendant qui depuis 2019 produit de l’information, de la réflexion, de l’art et du divertissement autour de la question de l’exploration de la conscience et du voyage psychédélique. Vous pouvez soutenir cette production en passant par notre page Tipeee !
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